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Demande
en mariage...

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En ce matin du 14 février, les premiers rayons du soleil qui viennent frapper les carreaux de la chambre augurent d’une belle journée.

Cette nuit Louis a pris une grande décision, il va demander à Marguerite si elle veut bien devenir sa femme.

 

Ils se connaissent depuis l’école primaire et ont effectué toute leur scolarité ensemble.  

Après le certificat d’étude que tous les deux avaient brillamment obtenu, ils avaient été embauchés dans la même usine de délainage, tout près du hameau où habitaient leurs familles.

Comme ils passaient de longs moments ensemble, leur amitié enfantine s’était peu à peu transformée en un sentiment plus intense et chacun ressentait l’absence de l’autre comme un grand vide. Mais, sans doute à cause de l’éducation stricte que leur avaient inculquée leurs parents, et aussi, beaucoup par timidité et ignorance des choses de l’amour, ils n’avaient encore jamais osé s’avouer ce qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre. 

Ils adoraient tous deux se promener durant des heures à travers les pentes montagneuses qui entouraient le hameau.

Les dimanches de beau temps, après la messe, ils rangeaient dans un sac à dos de quoi se restaurer et partaient pour de longues balades. Connaissant parfaitement tous les chemins et les sentiers alentours, ils finissaient toujours par dénicher un endroit agréable, souvent au bord d’un torrent, et là, installés sur des rochers baignés de soleil, tiraient leurs victuailles du sac et prenaient beaucoup de plaisir à se les partager.

Les gens qui les croisaient en chemin, les voyant marcher côte à côte et se tenant par la main, étaient persuadés d’avoir à faire à deux jeunes amoureux. Mais eux, se considéraient simplement comme deux amis inséparables.

Tellement habitués qu’ils étaient à être ensemble, ils n’avaient pas prêté attention à leurs propres transformations physiques. Aujourd’hui ce n’étaient plus des enfants, au fil des ans ils étaient devenus de jeunes adultes.

Louis était à présent un bel homme dont le travail pénible de l’usine avait forgé la musculature. Sa barbe naissante lui conférait un certain charme que venaient compléter ses cheveux blonds et frisés. Sa stature imposante dégageait un sentiment de protection qui rassurait son amie lorsqu’ils partaient ensemble et son sourire charismatique ne faisait qu’en rajouter à cela.

Marguerite qui, petite, était plutôt chétive avait depuis lors, pris les formes d’une jeune femme et son physique agréable faisait retourner plus d’un garçon sur son passage. Il faut dire que sa longue chevelure brune qui encadrait un visage de madone, aidait à mettre en valeur ses yeux d’un vert lumineux et lui conférait une beauté naturelle qui la rendait rayonnante.

 

 La seule période durant laquelle ils durent se séparer ce fut lors du service militaire de Louis. La guerre d’Algérie qui faisait rage à ce moment-là avait malheureusement prolongé la durée de celui-ci au-delà des deux années habituelles.

Durant les quelques mois précédents le départ du garçon, ils profitèrent au maximum de tous les moments de liberté qu’ils avaient. Ce dernier devait rejoindre son régiment début septembre et, alors que la date fatidique approchait, ils ressentaient un début de tristesse s’immiscer entre eux.

La veille du départ de Louis, la journée avait été très chaude et la nuit venue, la fraicheur du soir commençait tout doucement à se faire sentir.

Marguerite et Louis avait alors choisi d’aller se promener sur le chemin qui longeait la rivière. Ils marchaient en silence, se tenant la main comme à leur habitude, mais quelque chose de différent s’était glissé entre eux. Leurs doigts se serraient plus fort que d’habitude, comme s’ils avaient voulu ne jamais se lâcher.

Quand ils arrivèrent près des ruines du vieux moulin, Louis proposa de s’asseoir quelques instants sur le banc de pierre qui avait dû, jadis, servir aux occupants des lieux. Comme il n’était pas bien large il leur fallut se serrer l’un contre l’autre et ainsi leurs deux corps se touchaient. Ils restèrent silencieux un long moment, chacun sentant contre soi la chaleur de l’autre. Leur visage se frôlaient et les cheveux de Marguerite retombaient sur les épaules de Louis. Faisant mine de les repousser, elle se tourna vers lui et vint poser sa bouche sur les lèvres de son ami. Leurs regards se croisèrent et dans l’instant chacun put lire dans les yeux de l’autre leur amour naissant. Enlacés, ils restèrent ainsi de longues minutes avant que Louis, remis de sa surprise ne donna cette fois un long baiser langoureux à sa partenaire.

La nuit était déjà bien avancée quand ils se décidèrent à revenir au hameau. Il ne restait plus beaucoup de temps au jeune homme pour finir de préparer ses bagages car il devait prendre le car de bonne heure pour se rendre à la gare la plus proche afin de rejoindre en train sa caserne.

Arrivés devant la maison de Marguerite ils eurent beaucoup de mal à lâcher leurs mains. Cette dernière lui promit qu’elle l’attendrait et lui écrirait souvent.

Après un dernier baiser sur le visage inondé de larmes de son amoureuse, Louis s’éloigna sans se retourner car il ne voulait pas lui montrer que, lui aussi, pleurait.

 

Comme elle le lui avait promis, Marguerite lui écrivit chaque semaine une lettre pleine d’amour et de mots doux. Louis lui répondit le plus souvent possible, tout en évitant d’évoquer dans ses missives les horreurs du conflit auxquelles ils étaient, lui et ses camarades, confrontés quotidiennement. Il avait aussi omis volontairement de lui parler de l’épisode tragique le jour où sont détachement était tombé dans une embuscade tendue par les hommes du FLN, et au cours de laquelle lui avait été légèrement blessé mais deux de ses camarades tués.

Ces courriers et les quelques trop rares et courtes permissions firent en sorte que les deux tourtereaux purent patienter, l’un sans l’autre, en s’aimant à distance, jusqu’à la fin de cette sale guerre.

 

Une réception avait été organisée par la mairie du hameau pour fêter le retour de l’enfant du pays. Le jeune couple en avait profité pour afficher au grand jour leurs sentiments amoureux, sous les applaudissements des participants, bien que ce ne soit pas une découverte pour eux. La fête s’était prolongée toute la nuit et jusqu’au petit matin ils ne se quittèrent pas un seul instant, gardant leurs mains enlacées comme quand ils étaient enfants.  

La vie repris ensuite son cours normal et il leur fallut retrouver rapidement le monde du travail, Louis retourna dans l’usine qui l’avait employé avant son départ pour l’armée. Quant à Marguerite, elle travaillait déjà depuis plusieurs mois comme caissière dans un supermarché qui avait ouvert dans la ville toute proche.

 

Dans la tête de Louis une idée avait germé, mais pour l’instant il n’en avait parlé à personne.

Un de ses collègues de travail lui avait annoncé qu’il allait bientôt quitter la région car il avait rencontré une jeune femme et qu’il voulait la rejoindre. Célibataire jusqu’à présent, ce dernier louait un petit appartement dans un immeuble de la ville et avait donc donné son mois de préavis au propriétaire. Louis lui avait alors demandé de lui faire visiter les lieux.

Il avait ensuite contacté le loueur et sans hésiter avait signé un bail à son nom à partir du mois de février. Dès qu’il s’était retrouvé en possession des clés de l’appartement, grâce aux quelques économies réalisées avec sa solde de militaire, il avait meublé les deux pièces avec le minimum nécessaire pour pouvoir y vivre à deux. Tout cela bien sûr, en faisant en sorte que Marguerite ne se doutât de rien.

Il ne lui restait plus qu’à lui demander de devenir sa femme.

La veille au soir, un samedi, comme ils ne travaillaient pas le lendemain, ils étaient allés voir « La grande évasion » au cinéma puis comme à leur habitude il avait raccompagné la jeune femme chez elle avant de rentrer.

Mais cette nuit-là il n’avait pu trouver le sommeil, tout excité à la pensée de ce qu’il avait prévu de faire le lendemain. Ce n’est qu’au petit matin qu’il s’était enfin endormi.

 

 

En ce matin du 14 février, les premiers rayons du soleil qui viennent frapper les carreaux de la chambre augurent d’une belle journée.

Cette nuit Louis a pris une grande décision, il va demander à Marguerite elle veut bien devenir sa femme.

 

Quand il ouvre les yeux, le soleil est déjà haut dans le ciel. Vu l’heure, Marguerite est sans doute partie de chez elle pour se rendre à la messe. Il ira donc l’attendre à la sortie de l’église et l’invitera à venir se promener avec lui sur le sentier qui conduit au vieux moulin. C’est là, à l’endroit de leur premier baiser, qu’il a choisi de lui faire sa déclaration.

Louis est maintenant dans la rue, il a eu un peu de mal à trouver la sortie de la maison, comme s’il avait oublié où se trouvait la porte. Mais heureusement comme c’est un dimanche, les couloirs étaient vides et personne n’a remarqué ses hésitations.

Le soleil et la vive clarté du grand jour lui font un peu tourner la tête. Il ne se souvient pas qu’il y avait autant de bruits et autant de monde dans cette rue. Il longe un long moment le trottoir, un peu étonné de l’air surpris des passants qui le croisent. En voulant traverser la rue il manque de se faire renverser par un véhicule dont le conducteur freine brutalement et klaxonne rageusement en se frappant la tempe avec son index.

Au moins ce côté la chaussée est à l’ombre et cela lui permet d’apaiser la frayeur qu’il vient d’avoir.

Maintenant il lui faut trouver l’église mais il ne souvient plus de quel côté elle se trouve. C’est un peu le brouillard dans sa tête et il se sent soudain très fatigué. Il s’assied sur un banc et reste ainsi immobile les yeux dans le vague.

Quelques instants plus tard une dame âgée le remarque et vient s’asseoir à côté de lui. Elle est très étonnée de trouver là ce vieux monsieur, en pyjama et chaussé de charentaises, immobile, le regard perdu. Malgré la température encore fraiche et la façon légère dont il est vêtu, il semble être insensible au froid. Elle essaie d’entamer une conversation, mais ses questions n’obtiennent aucune réponse. Elle comprend qu’elle a à faire à quelqu’un qui s’est perdu et qui ne possède plus toute sa tête.

Alors qu’elle sort son téléphone et s’apprête à appeler les secours, le vieil homme se tourne de son côté. Il lui prend les mains et s’adresse à elle avec des larmes dans les yeux :

— Marguerite veux-tu être ma femme ?

La dame n’en croit pas ses oreilles et trouvant la situation tellement coquasse, elle ne peut s’empêcher, dans un premier temps, d’esquisser un léger sourire. Mais comprenant le côté dramatique du moment, elle se reprend, et essaie de lui faire comprendre qu’elle n’est pas Marguerite :

— Mon pauvre Monsieur, vous vous trompez, je ne suis pas Marguerite, je m’appelle Françoise ! Et en plus je ne connais pas de Marguerite !

Louis se renferme aussitôt dans son monde et semble à nouveau ignorer la présence de la personne à ses côtés.

La dame remarque alors une broderie sur la poche de la veste de pyjama « EHPAD des Oliviers ». Aussitôt elle comprend que le vieux monsieur a dû quitter cette maison de retraite et s’est égaré. Elle cherche le numéro de téléphone afin de signaler sa présence au personnel de la résidence.

— Allo…. Bonjour ! Je vous appelle car je suis assise à côté d’un monsieur âgé, en pyjama et en pantoufles et qui tient des propos incohérents…il semble que ce soit un de vos pensionnaires…que dois-je faire ?

— Merci Madame de nous avoir appelés…surtout ne le laissez pas partir…dites nous où vous vous trouvez et nous enverrons tout de suite une équipe pour le récupérer.

— Nous sommes sur l’Avenue Weber, sur un banc, juste en face de l’hôtel du Nord.

— Parfait, les infirmiers sont déjà en route…si cela vous est possible, soyez gentille de rester à ses côtés et retenez le jusqu’à ce qu’ils arrivent !

 

Quelques minutes plus tard, une voiture se gare au bord du trottoir à leur hauteur et deux hommes en blouse blanche en descendent. L’un d’eux vient s’asseoir sur le banc. Il dépose une couverture sur les épaules de Louis et prenant ses mains dans les siennes, il s’adresse à lui avec une voix douce.

— Monsieur Louis, vous allez prendre froid. Vous savez bien que votre femme, Marguerite, ne peut pas être là puisque nous allons ensemble lui porter des fleurs tous les mois au cimetière. Allez, il faut rentrer maintenant.

En disant cela il se lève et entraine Louis vers la voiture après l’avoir aidé pour s’asseoir à l’arrière, il explique brièvement à la dame que ce Monsieur est atteint d’Alzheimer.

— Merci encore de votre aide car nous le cherchions depuis ce matin. Sans vous nous aurions eu du mal à le retrouver et il aurait même pu avoir un accident.

Il vient prendre place sur la banquette, à côté de Louis et la voiture s’éloigne.

 

 

La journée du 14 février tire à sa fin, les derniers rayons du soleil viennent frapper les carreaux de la chambre.

Aujourd’hui Louis est heureux, il a pu demander à Marguerite de devenir sa femme.

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