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Souvenirs...

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Me voilà contraint contre ma volonté de déménager une dernière fois …

Mon futur logement s’avérant beaucoup plus exigu que le précédent, j’ai dû effectuer du tri dans mes affaires et me débarrasser de beaucoup de choses inutiles

Je n’étais pas enthousiaste à cette idée mais cette fois je n’avais pas le choix, je devais tout abandonner derrière moi.

Cela peut paraître simple au départ mais se révèle très vite compliqué quand il faut se séparer de toutes les choses amassées au cours d’une vie. D’autant que c’est à ces moments-là que réapparaissent les souvenirs bien rangés au fond de la mémoire, et que l’on avait complètement oubliées après toutes ces années de vieillesse.

Quoi qu’il en soit je n’ai pas eu d’autre choix, même si cela m’a déchiré le cœur.

 

Tiens, je prends par exemple ces grands cadres contenant les photos de mes aïeux. Combien de fois les ai-je sauvés de la destruction et de l’oubli en les récupérant au fond d’un grenier où ils n’intéressaient plus personne.

Passionné de généalogie, il est évident que pour moi, ces vieilles photos représentent des personnes dont j’ai essayé de retrouver, grâce aux archives où aux souvenirs des plus anciens, les moments importants de leur vie. Dire que sans eux je ne serai pas là aujourd’hui pour vous en parler. Combien de fois suis-je resté devant leurs portraits en essayant d’imaginer leurs vies, de reconstituer devant mes yeux l’instant où les photos ont été prises. Il faut penser qu’au début du siècle dernier ce moment devait représenter un évènement, si loin des centaines de clichés dont nous saturons aujourd’hui la mémoire de nos smartphones.

Bref que faire d’eux aujourd’hui ? Les confier aux générations suivantes sans beaucoup d’espoir qu’ils soient conservés, à voir le peu d’intérêt que portent les jeunes générations à la vie de leurs ancêtres, certains ne connaissant même pas les noms de jeune fille de leurs grands-mères. Il faut avouer à leur décharge que la banalisation des familles recomposées ne leur facilite pas vraiment la tâche.

Alors mes chers aïeux, je ne vois pas d’autre solution que de vous laisser retourner dans les oubliettes du temps, attendre patiemment dans une brocante que la poussière vous fasse un nouveau linceul jusqu’à ce qu’un amateur de vieilleries s’extasie devant la beauté de vos cadres et une fois ramenés chez lui vous remplace par un miroir ou une banale toile d’un peintre inconnu.

 

Adieu donc mes lointains géniteurs !

 

Me voilà maintenant dubitatif devant cette impressionnante pile d’albums. Ils contiennent toute une vie de collectionneur, de philatéliste passionné. Des milliers de petites vignettes récupérées, achetées ou échangées avec à chaque fois autant de joie et d’empressement pour trouver leur place sur les pages encore vierges.

Quand je dis une vie, je ne suis pas tout à fait honnête, j’aurais dû parler de deux vies. C’est en effet celle qui m’a mis au monde un beau jour du mois de juin, qui m’a transmis, une fois qu’elle m’en a senti responsable, sa propre collection. Vous comprendrez d’autant plus la valeur sentimentale que tout cela représente.

Beaucoup de ces petits bouts de papier ont leur histoire et en feuilletant ces albums ce sont autant de souvenirs qui refont surface. Tiens par exemple, cette page avec une feuille entière éditée pour Phil-expo en 1964 et que l’on ne pouvait obtenir que par souscription préalable. Trop jeune à cette époque pour la commander, mon grand ’père m’avait fait la surprise de revenir un jour du bureau de poste avec le précieux bloc dans une enveloppe. Lui qui n’y connaissait rien aux choses de la philatélie, s’était débrouillé tout seul, sans rien me dire, pour l’obtenir et me l’offrir.

Qu’en faire aujourd’hui ? Les donner, mais à qui ? De nos jours, à part quelques gamins qui s’échangent des cartes Pokémon ou autres, la collectionnite a presque disparu chez les jeunes générations.

Notre société de consommation est devenue telle que quasiment plus personne ne prend le temps de s’arrêter devant la beauté d’un timbre, la finesse de sa gravure ou de s’intéresser à ce qu’il représente. Pourtant, combien de lieux, combien de personnages ou d’événements ai-je découverts à travers ces petits morceaux de papier et dont il me souvient encore.

Alors, mes beaux albums, si patiemment conservés, si amoureusement complétés, j’ignore quel va être votre avenir. Dispersés lors d’une bourse de collectionneurs ou rachetés pour un prix dérisoire par un marchand sans scrupule ou bien, et ce serait un moindre mal, donnés à une association philatéliste dont les membres seront ravis de compléter à peu de frais leur propre collection. Quoi qu’il en soit, je ne peux vous prendre avec moi.

 

Adieu donc mes beaux timbres !

 

Quand je regarde la montagne de livres qui emplit les rayons de la bibliothèque, je réalise que je vais devoir tous les abandonner. Pourtant presque chacun d’eux est rattaché à un souvenir, à moment de vie, voire à une personne.

Comme, ces séries de gros volumes qui traitent des grands moments de l’histoire, achetés il y a longtemps, sans doute au prix de sacrifices financiers, par mon père. Quand il m’arrive de les feuilleter, sans les lire car, trop compliqués pour moi, j’ai l’impression que l’ombre de mon géniteur est assise à côté de moi. Il me semble le voir en train de les sortir de leur carton, en caresser la couverture, sentir l’odeur du papier neuf, avant de s’installer dans son fauteuil et d’en tourner les pages une après l’autre.

Je me demande encore aujourd’hui s’il les lisait vraiment ou si ce n’était pour lui que le seul plaisir de les posséder, lui le fils d’immigrés espagnols qui était arrivé à se hisser dans l’échelle sociale grâce à sa seule volonté d’apprendre.

Ces livres ne sont pas les seuls qui comptent pour moi. Il y a aussi la longue série d’ouvrages sur les Alpes, plus précisément sur la Savoie. Cette terre où j’ai passé les plus belles années de mon enfance et ensuite de mon adolescence. Toutes ces photos de paysages admirés depuis des sommets, gravis dans la souffrance des longues marches en montagne, mais dont la beauté époustouflante avait pour effet de faire aussitôt oublier les affres de la montée.

Je me souviens d’une randonnée de quatre jours, accompagné pour la première fois de mon fils qui n’avait alors que trois ans, mais qui a gravi comme un grand les pentes de la chaîne des Belledonne, provoquant l’admiration de tous à notre arrivée en fin de journée dans les refuges.

Combien de nuits en solitaire ai-je passé au bord d’un de ces nombreux lacs de montagne en admirant le coucher du soleil et m’enivrant du silence, heureux de pouvoir déguster un bol de soupe lyophilisé guère plus aromatisé que de l’eau chaude, mais qui dans ces lieux devenait pour moi un plat digne des plus grands chefs de la gastronomie.

Aujourd’hui nul n’a besoin de tous ces livres pour compulser des photographies de paysages, ni de dictionnaires en x volumes pour trouver une réponse à nos interrogations, il suffit pour cela de se connecter sur la toile et accéder ainsi à une banque d’images ou à une encyclopédie numérique, contre lesquelles les documents papier ne peuvent rivaliser.

Alors tous ces beaux ouvrages n’intéresseront plus personne et vont terminer leur vie, s’ils échappent au recyclage en déchetterie, bradés dans les bacs de vente d’un hangar d’Emmaüs.

 

Adieu ma belle bibliothèque !

 

Depuis longtemps l’alcool m’a été défendu par les doctes savants de la médecine. Moi qui aie toujours aimé m’offrir en apéritif ou avec un morceau de fromage à la fin d’un repas, un verre de bon vin, je ne me suis jamais résolu à me séparer de la petite cave que je m’étais constitué au fil des ans. Oh non, ce ne sont pas des bouteilles achetées à prix d’or, mais simplement quelques petits crus découverts lors de voyages ou de rencontres avec des passionnés heureux de faire partager leur production. Chaque flacon à sa propre histoire, chacun d’eux évoque un lieu, un moment de vie, un peu comme un album de souvenirs.

Certains ont encore plus de valeur, comme cette bouteille de Pommard millésimée 1961, offerte par mon grand-père quelques mois avant sa mort et qu’il avait retrouvée enfouie dans le gravier du sol de sa cave où il conservait son vin. Ou bien ce long flacon à la forme peu ordinaire contenant un élixir ambré, un vin de paille, récupéré après le décès de mon père, grand amateur de vins d’Arbois et du Jura. Comment ne pas penser à eux en les voyant.

Cependant je dois avouer que parmi tous les objets dont je dois me séparer, ce sont ceux pour lequel j’ai le moins d’inquiétude en ce qui concerne leur avenir. Je suis certain que des amateurs de la chose vinicole n’auront aucun complexe à profiter de toutes ces bouteilles laissées à l’abandon et que les flacons une fois vidé de leur précieux contenu, iront prestement rejoindre les bacs à verre du tri sélectif.

 

Adieu mes dives bouteilles !

 

Que faire aussi de tous ces bibelots bien encombrants, rapportés comme des trophées à l’occasion de chaque voyage. Une fois à la maison leur fonction s’est souvent résumée à occuper une quelconque étagère ou à pendre au bout d’un crochet sur un mur déjà bien rempli.

 Pourtant tous ont une histoire différente et à chaque grand ménage de printemps pour leur ôter la poussière accumulée durant l’année, ils semblaient reprendre vie sous les coups de plumeau. Un peu comme s’ils nous emportaient loin pour nous faire revenir sur les lieux où ils ont été achetés, après de longues hésitations avec leur voisin de vitrine.

Cette aquarelle de Dubrovnik ramenée du fin fond de la Croatie lors d’un périple camping-cariste durant lequel nous avions découvert ce pays qui venait à peine de s’ouvrir au tourisme, et surtout, partagé avec les habitants, les spécialités culinaires locales. Quel régal que ces calamars tout juste péchés et dégustés sur la terrasse du restaurant, les pieds dans l’eau, dans un petit port de pêche.

Et cette soirée autour d’un cochon grillé qui nous paraissait énorme à nous autres invités, et dont il n’est resté à la fin que quelques résidus de carcasse, tant la viande était délicieuse et l’ambiance festive.

Encombrantes aussi toutes ces poteries achetées dans les ateliers des artisans du bout du monde, tel ce grand plat de céramique peint à la main par des artistes anonymes turcs au cœur de la Cappadoce. Quel souvenir aussi que ce petit vase fabriqué par des enfants qui travaillaient au sein d’un atelier rudimentaire, une terre noire surprenante, dans un coin reculé de la Roumanie, pays qui émergeait à peine de longues et noires années de dictature sous la coupe de Ceausescu.

Tous ces objets vont changer de propriétaire, mais tous perdront leur véritable identité et leur histoire. Ils deviendront insipides pour ceux qui les exposeront à nouveau sur une étagère poussiéreuse ou au bout d’un crochet.

 

Adieu tous mes bibelots souvenirs !

 

 

Avant de vous quitter, il faut que je vous donne une précision afin que vous compreniez mieux le pourquoi de toutes ces séparations.

Voici la nouvelle adresse où je vais emménager :

  

 

Niche 183

Allée numéro 3

Columbarium du cimetière de …..

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